Dans l'attente du remaniementLE MONDE | 01.03.2014 à 09h53 |
Par David Revault d'Allonnes
Jean-Marc Ayrault et François Hollande sur le perron de l'Elysée, le 19 février. | REUTERS/PHILIPPE WOJAZER
Drôle de climat. Singulière ambiance. « Nous sommes sur un faux rythme », soupire Jean-Christophe Cambadélis, député de Paris et numéro deux du Parti socialiste. « Un faux plat », précise un des conseillers de François Hollande. Déroutante atmosphère politique, où tout – projets autres que le pacte de responsabilité, implication des ministres dans la campagne des municipales, déplacements du président – semble à l'arrêt au plus haut sommet de l'Etat, alors même que spéculations et combinaisons concernant un futur remaniement n'ont jamais été si vivaces.
Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr. Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnésUn vieil ami du président résume : « Le remaniement, il est acté. Et maintenant que la rumeur s'est installée, elle sort par la porte, revient par la fenêtre et déstabilise tout… Donc cela suscite de l'inquiétude et des manoeuvres, pour se protéger ou se vendre. »
UN CHEF DE L'ETAT QUI NE PIPE MOT
Elle courait paradoxalement depuis les premiers mois du quinquennat. L'hypothèse, aujourd'hui, ne fait plus guère de doute. « On arrive sur zone, comme disent les militaires », confirme un collaborateur de François Hollande. Et rarement la flotte gouvernementale, dont les nerfs ont pourtant été soumis à rude épreuve depuis vingt et un mois, aura connu pareilles turbulences psychologico-politiques.
Car si le principe du remaniement est acquis, ses mystères – son timing précis, son ampleur, son casting – semblent plus impénétrables que jamais. Tout comme le président lui-même qui, comme à l'accoutumée, écoute mais ne pipe mot. « Le président étant peu sensible aux pressions et aux conseils, personne ne sait, sauf lui », diagnostique un ministre qui, délicat euphémisme, avoue avoir « parfois du mal à comprendre comment ça marche… »
Même au coeur du premier cercle de François Hollande c'est plus que jamais le grand flou au chapitre des intentions d'un président qui a abondamment consulté, reçu force notes sur le sujet et planche depuis trois mois sur des scénarios précis – au point d'avoir très sérieusement envisagé, fin novembre 2013, de nommer Manuel Valls à Matignon. Certains proches se sont résolus à ne plus l'entreprendre sur le sujet, exaspérés tant par cette étanchéité présidentielle que par les scénarios divers et variés fleurissant dans la presse, souvent rapportés aux médias par les interlocuteurs de François Hollande eux-mêmes.
UN REMANIEMENT AVANCÉ
« Je ne parle plus du remaniement au président, glisse un intime excédé. Il a des informations, des avis plus qu'il n'en faut et c'est une question qu'il a tournée dans tous les sens depuis trois mois. Ce que pensent ou ce que ressentent ses interlocuteurs n'a donc aucune conséquence sur le mécanisme lui-même. Quels que soient les propos qu'il tient et à qui il les tient, la décision, il la prendra dans son bureau. Seul. » Comme d'habitude. Mais dans l'attente, et l'incertitude, les supputations fleurissent dans les équipes ministérielles.
Sur le calendrier, d'abord. Encore repoussée, il y a quelques mois, au-delà des régionales de 2015, l'hypothèse du remaniement s'est avec le temps considérablement avancée dans l'agenda : d'abord après les européennes de juin, puis dès le lendemain du deuxième tour des municipales, le 30 mars. Diagnostic d'un ministre : « Ça fait deux mois que je dis que la fenêtre de tir est en avril, même si cela dépend du score des municipales. Une défaite lourde scellerait le sort du premier ministre, une défaite plus mitigée permettrait de le garder en changeant le gouvernement. »
Les lendemains du premier scrutin intermédiaire depuis l'arrivée des socialistes au pouvoir, quelle que soit l'exacte mesure électorale du mécontentement à leur égard, pourraient donc se révéler un moment idoine : cela permettrait de faire coïncider remaniement et vote de confiance – le premier ministre qui sollicitera celui-ci auprès de la représentation nationale étant fort logiquement celui qui mènera à son terme le pacte de responsabilité.
« L'intérêt d'un remaniement après les municipales, qui coïnciderait avec le lancement du pacte de responsabilité, c'est qu'il ferait de ce dernier une réalité considérée comme certaine par les acteurs économiques, résume un poids lourd hollandais du gouvernement. Il est logique que le premier ministre et le gouvernement qui mettent en place le pacte soient également ceux qui le mettront en musique. Il n'y a de ce point de vue pas de raison d'attendre. »
« DANS UN MOIS, SI ON EST ENCORE LÀ »
Autre motif d'angoisse dans les couloirs de l'exécutif, la question du casting, évidemment. Car quel que soit le nom du prochain locataire de Matignon – Manuel Valls, Laurent Fabius ou Claude Bartolone sont les plus fréquemment cités – un réajustement de l'équipe dans son ensemble s'impose. Y compris si Jean-Marc Ayrault sauve sa place, ce qui n'est pas exclu. D'où d'importants mouvements à prévoir sur le plan des ressources humaines.
Dans l'attente de ce choc de simplification, la crainte gagne les équipes de l'exécutif. La plaisanterie revient d'ailleurs comme un gimmick dans certains cabinets ministériels. « On traitera ce dossier dans un mois », dit un conseiller. Réponse de ses collègues : « Si on est encore là… » Amplitude maximale sur l'échelle de Richter des angoisses. « Ça tangue, confirme un conseiller. On n'est pas encore en train de faire des cartons, mais il y a pas mal de fébrilité. Et certains sont plus flippés que d'autres. » En particulier du côté des ministres délégués, plus facile à faire figurer parmi les sortants.
La tension monte, donc. Mais pour le reste, rien ne bouge. La trêve parlementaire est là. La campagne municipale peine à s'installer : « Il n'y a pas de campagne, pas d'affiche, pas de thème, pas de controverse », s'étonne un haut responsable de la majorité.
Le président, d'ailleurs, prendra bien soin de ne pas y participer. Il n'a pour l'heure pas prévu le moindre déplacement en France – ni à l'étranger – d'ici au second tour des municipales. Pas question, pour le chef de l'Etat, de se voir chercher une mauvaise querelle sur le thème de l'implication présidentielle dans la campagne. Et encore moins d'endosser la moindre part de responsabilité dans ce qui s'annonce comme la chronique d'une défaite annoncée. « Il ne veut pas qu'on puisse dire qu'il a impacté les résultats », résume un de ses vieux amis. Surtout en cas de déroute.
LE MERCATO DES CONSEILLERS
Tous les projets autres que le pacte de responsabilité ont été gelés, toutes affaires cessantes. « Le rythme de l'action gouvernementale est totalement concentré sur le pacte et le programme de réduction de la dépense publique », confirme un conseiller de M. Hollande. « La politique française est suspendue », estime M. Cambadélis. A part, bien sûr, les plans de reclassement des ministres et de leurs collaborateurs. Car le mercato des conseillers, lui, a bel et bien – discrètement – démarré. Dans une ambiance politiquement irréelle.
« On avait déjà connu ça après l'affaire Cahuzac et les rumeurs de remaniement de l'époque, relate le collaborateur d'une ministre importante. Le rythme se ralentit très fortement, il y a de moins en moins de réunions interministérielles et les cabinets tournent au ralenti. On gère les affaires courantes. » Et ce conseiller de conclure : « On est dans la ouate, presque dans un état gazeux. »
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