La fausse taxe Tobin européennePar Laurent Pinsolle(son site)
samedi 10 mai 2014
Transmis à tous ceux qui espèrent encore que l’UE peut nous apporter quoi que ce soit de bon : le projet de taxe Tobin européen, après de longues négociations sous l’influence des lobbys financiers aboutit à la mise en place d’un simple impôt de bourse, ni nouveau, ni important.
La mort d’une belle idée
Depuis le début du blog, j’ai toujours plaidé pour la mise en place d’une taxe Tobin. Dans son livre de 2001, Joseph Stiglitz plaidait en faveur de son instauration d’une manière particulièrement convaincante, en soulignant qu’elle n’aurait pas uniquement pour bénéfice de pénaliser la spéculation, mais également de permettre une plus grande contribution du monde de la finance à la collectivité, argument qui a pris du poids depuis la dernière crise et les nombreuses plans de sauvetage des banques… Un projet a donc émergé dans le magma européen. Mais comme le note Oxfam, les 34 milliards de recettes fiscales de sa première version (0,1% sur les actions et les obligations et 0,01% sur les dérivés) se sont transformés en un bien maigre 5 à 6 milliards, au fur et à mesure des compromis…
En effet, aujourd’hui, le projet ne concerne plus que 11 pays. Il est largement restreint aux actions, et n’est donc pas une nouveauté puisque cela existe depuis longtemps. La Grande Bretagne a depuis longtemps un impôt de bourse et la France en a instauré un en 2012, qui a rapporté un peu plus de 700 millions d’euros. Les acteurs du secteur ont lutté contre ce projet, en affirmant que cela risquait de faire fuir les capitaux (une conséquence logique de la libre-circulation), personne ne semblant s’être dit que cela montrait justement l’intérêt de réglementer leur circulation pour pouvoir ensuite les taxer. De nombreux échos indiquent que la position de la France était loin d’être entousiaste sur ce dossier.
Pour une vraie taxe Tobin
Bien évidemment, les ministres des finances européens ont présenté leur minuscule et dérisoire impôt de bourse comme un beau succès. La palme revient sans doute à Michel Sapin, qui a parlé de « pas décisif » alors même que la France a tout fait pour réduire la portée du projet, que Pierre Moscovici jugeait excessif l’an dernier… Mais en pratique, le projet est dérisoire. Il faut savoir que les transactions financières pèsent 50 à 70 fois le PIB. Du coup, le rendement de 5 milliards d’euros, pour un PIB de 10 000 milliards d’euros environ, est assez dérisoire, environ 0,001% des transactions financières dans la zone du fait de la limitation aux seules actions et l’oubli de la majorité des produits financiers.
Il faut alors se souvenir de ce que disait Joseph Stiglitz en 2001 : « puisque les flux accélérés de capitaux, entrants ou sortants, causent de gros problèmes, qu’ils (…) engendrent de lourds effets sur les citoyens ordinaires qui n’ont rien à voir avec ces flux de capitaux, en raison des perturbations massives que ceux-ci provoquent dans l’ensemble de l’économie, l’Etat a le droit et le devoir de prendre des mesures pour y faire face ». La taxe Tobin a le pouvoir d’affaiblir fortement la spéculation et d’introduire une contribution forte de la finance à la collectivité, mais à condition de s’appliquer à tous les produits financiers et de passer 0,1% minimum, voir jusqu’à 1% à chaque transaction.
Comme d’habitude, l’UE, du fait de sa perméabilité aux lobbys et de son inconscient néolibéral, a tué cette belle idée qui aurait pu domestiquer la finance, que les circonstances de la crise de 2008-2009 auraient du imposer. Mais il faudra continuer à se battre pour la taxe Tobin.
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