Pourquoi les entreprises françaises relocalisentPar Benoît Zagdoun Mis à jour le 10/05/2014 | 18:21 , publié le 10/05/2014 | 18:21
Quel est le point commun entre les jouets Smoby dans le Jura, les chaussettes Kindy dans l'Oise, les skis Rossignol en Haute-Savoie et le bijoutier-joaillier Mauboussin en région parisienne ? Tous ont fait le choix de revenir fabriquer leurs produits en France, après avoir délocalisé leur production.
Les exemples ne manquent pas, à la grande satisfaction du ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, engagé
dans un combat pour le "made in France"à grand renfort de marinière Armor Lux. Quelles sont les motivations réelles de ces entreprises ?
Pour gagner du temps... et de l’argent
"Les entreprises rapatrient leur production non pas par patriotisme, mais par calcul économique", tranche Pierre Derieux, consultant spécialisé au Boston Consulting Group dans
Le Nouvel Economiste. La logistique est ainsi le premier motif de relocalisation avancé par les entreprises françaises, selon la note
(en PDF) publiée en mars par la Direction générale de la compétitivité de l'industrie et des services (DGCIS), qui a étudié une trentaine de cas d’entreprises ayant relocalisé récemment une partie de leur activité en France.
"Notre cycle de production a gagné deux semaines : en France, c'est quatre semaines et demie, à l'étranger, six semaines et demie", chiffre, sur le
Journal du net, le PDG de Mauboussin, Alain Némarq, qui a rapatrié une partie de sa production dans l’Hexagone. "Une usine française peut me livrer en quarante jours maximum quand les Chinois livrent en cent jours, dont trente jours de mer. Une soixantaine de jours de trésorerie, ça fait une grosse différence en ces temps de tensions sur les financements bancaires", calcule, dans
Les Echos, Hervé Giaoui, PDG de Cafom, propriétaire des magasins d’ameublement Habitat, qui a rapatrié la fabrication de certains de ses produits de Chine chez des sous-traitants français.
"Les facteurs qui ont poussé à l’hypermondialisation sont en train de s’essouffler", explique à francetv info E. M. Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et spécialiste de la question des relocalisations. "Les coûts de transports sont repartis à la hausse et les coûts salariaux dans les pays du Sud sont en train d’augmenter. Cela grève la compétitivité des entreprises qui s’étaient délocalisées."
Pour afficher du "made in France"
Le "made in France" est à la mode. Et pas seulement au ministère de l’Economie. Près des trois quarts des Français (73%) déclarent que c’est, à leurs yeux, un critère "plus important qu'il y a dix ans" dans leurs achats au quotidien. Ils se disent même prêts – et dans une proportion identique – à payer plus cher un produit, sachant qu'il a été fabriqué en France. Ces deux enseignements sont tirés d’un sondage, réalisé par l’Ifop en novembre 2013, relayé par RTL et opportunément commandé par l’opticien Atol, qui se pose en pionnier de la relocalisation.
L’étiquette "made in France" est un argument marketing que les entreprises ne peuvent ignorer. Le PDG de Geneviève Lethu, Edmond Kasssapian, confie au Monde qu'il avait relocalisé la majorité de sa production de la Chine vers la France au milieu des années 2000 pour pouvoir y apposer le précieux label et plaire ainsi à sa clientèle, notamment étrangère, voulant s’offrir un peu de la tradition des arts de la table à la française en achetant sa vaisselle. Ce qui n'a finalement pas empêché l'entreprise à déposer le bilan, début 2014, avant d'être rachetée par un groupe toulousain.
Pour fabriquer des produits de meilleure qualité
En délocalisant, les entreprises ont gagné en coût de production mais elles ont parfois perdu en qualité de fabrication. "Nous constations des problèmes presque à chaque envoi, dans chaque container en provenance de Chine", raconte au Monde Edmond Kassapian, le patron de Geneviève Lethu. "Cela pouvait se traduire par une couleur qui n'était pas celle désirée - avec un vert prairie qui devient par exemple un improbable vert anglais - ou, de façon plus grave, par l'utilisation de composants ne respectant pas les normes alimentaires, comme les additifs au cadmium, par exemple, dans la fabrication des assiettes. Ce qui est strictement interdit en France."
Même critique chez Veloscoot, importateur de vélos à assistance électrique chinois devenu l'un des rares fabricants de cycles "made in France". A l'assemblage, "en Chine, il y a des gens qui rayonnent à la main, c'est beaucoup moins précis", souligne son jeune patron Sébastien Beugin dans
20 Minutes. En 2012, la PME a fait le pari de relocaliser l'assemblage de ses vélos près de La Rochelle et de privilégier des fournisseurs européens.
Pour plus de souplesse
C’est le choix fait par le fabricant de jouets de construction Meccano. En 2009, il a rapatrié à Calais certaines gammes de jeux produites en Chine. Alain Ingberg, le président du groupe l’explique sur
le blog d’Arnaud Montebourg : il a voulu "gagner en souplesse grâce à la maîtrise de l’ensemble des étapes de la conception à la distribution".
Rossignol aussi
a opté pour cette "relocalisation d’arbitrage", comme la nomme E. M. Mouhoud. Plus près des clients, mais aussi des matériaux de fabrication.
L’Europe, c’est 60% de la clientèle du fabricant français de skis. A l’inverse, le marché est quasi inexistant en Asie. Autre critère : "la matière première représente plus de 70% du coût de nos produits, et comme elle vient d'Europe, il revient très cher de la transporter en Asie puis de la ramener en Europe", explique à
ReutersBruno Cercley, le président du groupe Rossignol.
Fort de ce double constat, le groupe a décidé le retour de la fabrication de certaines gammes de ses skis de Taïwan, vers son usine ultra-moderne de Sallanches (Haute-Savoie), en 2010, puis en 2013. La marque française, l'un des leaders mondiaux du marché des articles de sports d'hiver, peut ainsi être plus réactive et accélérer la production lorsque la neige se met à tomber dans les Alpes. "On est plus compétitif en France qu'à Taïwan", conclut le patron de Rossignol.
Pour fabriquer haut de gamme
Kindy, le numéro un français de la chaussette, né en 1863, a failli disparaître au début des années 2000, lorsque les modèles à bas coût produits dans les pays émergents ont inondé le marché français. Le groupe a licencié, fermé quatre de ses cinq usines françaises et délocalisé, avant de trouver la parade : innover. Kindy a lancé la production de chaussettes techniques et haut de gamme dans son usine historique de Moliens (Oise), relate
Le Monde.
Ces chaussettes griffées, hypoallergéniques, thermorégulatrices, massantes, anti-odeur, en coton bio évidemment, et même pour diabétiques représentent 10% des 25 millions de paires vendues chaque année. Le reste est fabriqué en Turquie et en Chine. "C’est grâce à l’innovation que nous tirons notre épingle du jeu", assure Xavière Pétillon, directrice du marketing de Kindy dans
La Croix.
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