SOCIAL Le psychiatre Michel Debout alerte sur la santé des cinq millions de personnes frappées par le chômage en France...«La santé des chômeurs n'intéresse personne»
Créé le 12.01.2015 à 17:29
Mis à jour le 12.01.2015 à 17:29
Deux cents personnes ont défilé samedi à Nantes en hommage au chômeur qui s'est mortellement immolé par le feu mercredi devant une agence Pôle emploi de la ville, selon la correspondante l'AFP. - Frank Perry afp.com
«La santé des chômeurs semble n’intéresser personne.» Le psychiatre et médecin légiste Michel Debout repasse à l’attaque. Dans un ouvrage intitulé Le traumatisme du chômage, à paraître le 15 janvier aux Editions de l’Atelier, il
dénonce les effets du chômage sur la santé, formule des recommandations et demande aux pouvoirs publics d’agir.
Un traumatisme non reconnu«Dans la liste des événements considérés comme potentiellement traumatisants, nous retrouvons les mots "agression", "accident" ou encore "catastrophe", mais jamais celui de "chômage"», note Michel Debout. Pourtant, perdre son emploi
est un événement traumatique», poursuit le psychiatre.
«Le choc se traduit d’abord par la sidération. Le chômeur vit la perte de son emploi comme un moment de disparition, un sentiment de mort. "Je suis en deuil", dit d’ailleurs
une salariée des abattoirs Gad. Le chômeur ressent aussi de l’humiliation.»
Les dégâts psychologiquesAprès le choc, le chômeur peut développer des réactions anxieuses, comme perdre l’appétit et le sommeil, ou se sentir «irritable». Puis vient le sentiment de culpabilité. «Tous les traumatisés se sentent à un moment coupables de ce qui leur est arrivé», assure Michel Debout. L’estime de soi est rongée et, si le chômage se poursuit, la perte de confiance en soi s’installe.
Certains ressentent aussi de la colère, parfois accompagnée d’un désir de vengeance. Cet état dépressif conduit à l’addiction –tabac, alcool, médicaments, etc.– et parfois même, au suicide. «Tous les chômeurs ne vivent pas la perte de leur emploi de cette manière, mais le risque est important», précise le psychiatre.
Des liens sociaux fragilisésDébut 2010,
l’équipementier automobile Continental fermait son usine de Clairoix (Oise), mettant à la porte quelque 680 personnes. Cinq ans plus tard, «250 d’entre elles ont divorcé», note Michel Debout. Se retrouver au chômage n’est pas sans conséquence sur l’univers familial.
Au-delà de la honte et «des amis qui n’appellent plus», il y a les éventuelles critiques du conjoint, le manque de moyens qui se répercute sur les loisirs, les vacances, les études des enfants, parfois même les besoins élémentaires. Le surendettement guette et il atteint «largement les classes moyennes», insiste Michel Debout.
Un risque de suicide accruEn 2009, Michel Debout alertait les pouvoirs publics sur les risques psychosociaux liés à la crise. Il réclamait notamment la création d’un Observatoire national du suicide… Une demande qu’il avait déjà formulée en 1993.
L’Observatoire verra finalement le jour, mais en 2013 seulement..
En 2012, Michel Debout estimait que la crise avait engendré 750 suicides supplémentaires en trois ans. Des chiffres proches
de ceux dévoilés la semaine passée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm): «le nombre de suicides attribuables en France à la hausse du chômage entre 2008 et 2010» peut être «estimé à 584».
Aucune prise en charge médicale«Il faut une médecine préventive des chômeurs comme il existe une médecine préventive des travailleurs», insiste Michel Debout.
Dans son ouvrage, il recommande que Pôle emploi propose systématiquement à chaque nouveau chômeur un rendez-vous santé. Ce check-up serait assuré par un médecin ou un centre de santé avec lesquels les agences de Pôle emploi auraient passé un contrat.
Ce rendez-vous surviendrait deux à trois mois après la perte d’emploi, une fois la phase de sidération passée, et serait renouvelé un an plus tard, si la personne est toujours au chômage. «Le gouvernement doit prendre des mesures», insiste le psychiatre.
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