Article de MEDIAPART
La suppression surprise de l'inéligibilité automatique des élus condamnés
21 Septembre 2009 Par Thomas Clay. Edition : Club Droits, Justice & Sécurités
Un amendement PS du 8 septembre permet aux élus corrompus d'être à nouveau élus. Dans la discrétion, l'Assemblée nationale a adopté le 16 septembre 2009 un amendement socialiste à la loi pénitentiaire qui abroge l'article L. 7 du code électoral, lequel prévoyait une peine automatique
d'inéligibilité en cas de condamnations à certaines peines qui semblaient incompatibles avec les fonctions d'élus. Cet article L. 7 privait automatiquement de leur éligibilité les élus condamnés pour infractions financières et économiques (corruption, prise illégale d'intérêts, violation des règles des marchés publics). * Pourquoi ? Quelle est l'urgence de cette « amnistie » (cf. les dysfonctionnements de la loi de simplification du droit du 12 mai 2009 dont bénéficie aujourd'hui l'Eglise de scientologie) ? Pourquoi aucun débat public ni aucune explication sur un tel sujet ? *Comment ?
La réforme de la Constitution permet une telle initiative parlementaire puis la discussion sur le seul texte de la commission des lois. Le gouvernement n'a plus qu'à acquiescer. Sans donner aucune explication sur ses intentions. Cet article sera-t-il maintenu lors de la Commission mixte paritaire ?
1 - Texte actuel de l'article L. 7 du code électoral : Article L. 7, créé par la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 - art. 10 :« Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l'une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal ou pour le délit de recel de l'une de ces infractions, défini par les articles 321-1 et 321-2 du code pénal ». 2 - Texte actuel de l'article 132-21 du code pénal :Article 132-21, modifié par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 - art. 3 (JORF 13 décembre 2005) :« L'interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l'article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d'une condamnation pénale.Toute personne frappée d'une interdiction, déchéance ou incapacité quelconque qui résulte de plein droit, en application de dispositions particulières, d'une condamnation pénale, peut, par le jugement de condamnation ou par jugement ultérieur, être relevée en tout ou partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction, déchéance ou incapacité, dans
les conditions fixées par le code de procédure pénale ».
3 - Le débat sur ces articles (notamment au moment de l'affaire Juppé) porte sur leur application dans le temps et leur compatibilité :
- le premier date du Code pénal et met fin en 1992 à l'automaticité des peines annexes sur les droits civiques, civils et de famille ;
- le second (loi spéciale postérieure au code pénal) crée une automaticité d'exclusion des listes électorales, et prive de l'éligibilité, dès que la condamnation porte sur des faits limités par la loi et précis (corruption, prise illégale d'intérêts, concussion, ...) ;
- le débat, pour les juridictions judiciaires, a été tranché par la Cour de cassation par un arrêt du 1er mars 2001 dans l'attendu de principe suivant :"Qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article L. 7 du Code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 19 janvier 1995, dérogent au principe antérieurement posé par l'article
132-21 du Code pénal, le Tribunal a violé le texte susvisé".http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007042779&fastReqId=213519833&fastPos=18
-Le Conseil d'Etat réserve l'article L. 7 « à l'application de la loi électorale », c'est-à-dire aux élus et fait échapper les fonctionnaires
aux rigueurs de cet article (CE 11 décembre 2006 n° 271.029).
4 - Les débats à l'occasion du vote de la loi pénitentiaire :
- le Sénat en mars 2009, lors de l'examen du texte n'évoque pas ce sujet et le texte issue de cette assemblée ne fait aucune mention de ce sujet:
voir ci-dessous le lien vers le texte voté par le Sénat : http://www.senat.fr/leg/tas08-059.pdf- la question a été "évoquée" en commission des lois de l'Assemblée Nationale (réunion du lundi 8 septembre 2009).
- un amendement CL185 déposé par le Député Jean-Jacques Urvoas député socialiste et le groupe socialiste prévoit la disposition suivante :Amendement CL185 présenté par M. Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :Après l'article 12Insérer l'article suivant :« L'article L. 7 du code électoral est abrogé. »
- l'adoption de cet amendement ne donne lieu à aucun débat en commission des lois : pas d'exposé des motifs par l'auteur, avis favorable du
rapporteur et silence du Gouvernement. Cet amendement devient l'article 12 bis A (nouveau) du projet de loi texte de la commission. Extraits des débats en commission :Article additionnel après l'article 12 (art. L.7 du code électoral) :
Abrogation d'une peine de privation de plein droit des droits civiques :La Commission adopte, après avis favorable du rapporteur, l'amendement CL 185 de M. Jean-Jacques Urvoas.http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cloi/08-09/c0809075.asphttp://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r1899.pdf
- en séance publique cet article, issu du texte de la commission, ne fait l'objet d'aucun débat (pas d'orateur inscrit, pas d'amendement : vote
formel à l'unanimité). Voir extraits des débats joints :Article 12 bis A(L'article 12 bis A est adopté.)http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2008-2009-extra2/20092005.asp
5 - Texte voté par l'Assemblée Nationale (le 16 septembre 2009) : Article 12 bis A (nouveau)L'article L. 7 du code électoral est abrogé.http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta-pdf/loi_penitentiaire180909.pdf
Conclusion : les élus condamnés seront rééligibles. C'est une régression sans précédent. Pauvre parlement !
Là Gauche et Droite c'est le silence radio..... c'est scandaleux ...