France : Quand la gestion de l’eau fait des vaguesLa gestion de l’eau à la française se distingue par la délégation massive de ce service public à des entreprises privées. Mais à la lumière de rapports critiques, ce modèle de partenariat est renégocié et pourrait laisser place à un courant de remunicipalisation. Sans pour autant chavirer.
Avec sept habitants sur dix desservis par un opérateur privé, la France est à l’origine d’un modèle bien installé de gestion de l’eau, minoritaire mais influent au niveau mondial. La gestion de l'eau, décentralisée depuis 1964, incombe aux communes ou à leurs groupements (pour 75% d'entre elles). Mais « l’école française » en la matière laisse la municipalité ou le syndicat intercommunal choisir de gérer directement l’eau et l’assainissement (gestion en régie), ou de déléguer la prestation de ce service à une entreprise privée spécialisée.
Il ne s’agit donc pas de « privatiser » en tant que tel : l’autorité publique garde la responsabilité de la qualité de l’eau et la propriété des infrastructures, tandis que le financement de base reste public, puisque c’est l’usager qui paie. Les entreprises sont « seulement » invitées à optimiser ce financement.
L’eau, une affaire privée ?
Depuis les années 1970, le privé prédomine sur le marché de la distribution de l'eau potable en France, parmi les plus de 14.000 structures de distribution d'eau potable. En 2010, 70% des 3,8 milliards de mètre cubes d'eau distribués sur le territoire l'ont été par des entreprises privées. Pour l’assainissement, 52 % de la population profitent de la gestion déléguée.
Trois groupes principaux se partagent ces contrats : Veolia (Générale des eaux, ex-Vivendi) en tête, avec 39% des parts de marché, suivie de Suez-Ondeo, ex-Lyonnaise des eaux avec 19%, puis la (petite) SAUR (11%). Pour un chiffre d'affaires total d'environ 5,2 milliards d'euros (eau et assainissement) en 2010.
Certains les surnomment les « trois sœurs », mais ce sont des entreprises bien de chez nous et peu enclines aux atermoiements d’un Tchekhov, avec dans leurs gourdes plus de 40% du marché mondial de l’eau.
Cette emprise du privé a pris son envol en France dans les années 60 et 70, sur la vague de l’après-guerre et de la décentralisation. Les besoins augmentent, l’approvisionnement devient plus lourd à supporter par des communes isolées, et l’émission de consignes plus strictes sur la qualité de l’eau rend son traitement plus coûteux.
En 1954, le privé ne dessert que 31,6% des usagers de l’eau. Mais les entreprises comme la Générale des eaux (future Veolia), nées au XIXème pour la construction des réseaux d’adduction d’eau potable et d’assainissement dans les villes, sont déjà fortes d’une longue expertise, et prêtes à proposer leurs services.
Jusqu’en 1995, et l’interdiction de cette pratique, la signature des contrats s’accompagne d’un « droit d’entrée », à savoir le versement d’une somme de l’entreprise à la collectivité, parfois de plusieurs millions de francs (à l’époque) qui facilite la délégation. En cas d’appels d’offre, la concurrence est minime : des candidatures uniques dans 31 % des cas, et dans 95 % des cas, le même délégataire est reconduit. Dans ces conditions, les partenariats public-privé fleurissent : à la fin des années 90, il ne reste que quelques grandes villes (Strasbourg, Nantes, Reims, Tours) et un cortège plus important de petites communes pour ne pas y avoir gouté.
Le retour du public ?
La fin des années 90 représente un tournant, alimenté par plusieurs enquêtes de consommateurs et des pouvoirs publics.
En 1999, Grenoble ouvre le bal. Les mouvements citoyens et écologistes locaux obtiennent l’annulation du contrat de délégation à Suez après la découverte de pratiques frauduleuses, et provoquent la remunicipalisation, officielle en 2001.
La sur-tarification fait débat. En 2006, une étude (1) démontre que les utilisateurs des services gérés par les opérateurs privés paient en moyenne 16% de plus pour l’eau que s’ils avaient affaire à des opérateurs publics. L’UFC/Que-Choisir parle de 30% d’écart.
En novembre 2009, le Journal du Dimanche pose la question de l’entretien du réseau en révélant qu’en moyenne, un litre sur quatre d’eau potable serait perdu dans une fuite ou une rupture de canalisation, avec un pic de 45% d’eau gaspillée à Nîmes. Et selon le bon principe français de « l’eau paie l’eau », le coût général de ces pertes, évalué à deux milliards d’euros, serait supporté par les contribuables sans impact sur les opérateurs privés (ou publics).
Au fil de l’eau et des enquêtes, même trop rares...
Lire la
suite