Catastrophe de Brétigny : un «délabrement jamais vu», selon les expertsPublié le 06.07.2014, 19h46 | Mise à jour : 23h00

Brétigny-sur-Orge (Essonne), 12 juillet 2013. Sur la voie Paris-Limoges où a eu lieu l’accident qui a fait 7 morts et 32 blessés, 154 boulons ont été contrôlés. Un tiers d’entre eux étaient desserrés, cassés ou absents. | (LP/Humberto de Oliveira.)
La catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne) du 12 juillet 2013serait bien due à un défaut d'entretien du matériel. Le constat des experts judiciaires est accablant pour les services de maintenance de la
SNCF, selon
les rapports d'expertise ferroviaire et métallurgique commandés par les juges d'instruction, dévoilés par Le Figaro ce dimanche soir et que nous avons également consulté.Le procureur d'Evry doit rendre ces conclusions publiques ce lundi.
En début de soirée, la SNCF et RFF (Réseau Ferré de France) ont réfuté, dans un communiqué, «tout état de délabrement du réseau à Bretigny comme ailleurs». Rappelant que «dès les premières heures, la SNCF, en plein accord avec RFF, a assumé d'emblée sa responsabilité dans l'accident», l'entreprise de transport demande «la plus grande prudence dans l'interprétation» de ces rapports, qui feront «l'objet d'un débat contradictoire dans le cadre du débat judiciaire».
«La sécurité est la priorité absolue du système ferroviaire français», dit encore la SNCF, avant de détailler les mesures mises en place depuis le drame de Brétigny. Les deux présidents de RFF et SNCF vont s'exprimer devant la presse lundi à 17 heures.
Des causes très claires. «La ruine d'un assemblage éclissé est la cause du déraillement du train SNCF Intercités n°3657 qui s'est produit en gare de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013», écrivent noir sur blanc Michel Dubernard et Pierre Henquenet, ingénieurs, experts près la cour d'appel de Douai. L'éclisse est cette lourde agrafe métallique qui sert à relier entre eux des rails.
Délabrement, usure et fatigue. Les mots employés par les experts sont d'une grande sévérité pour la SNCF. Ils constatent un «état de délabrement jamais vu par ailleurs». Pour eux, le matériel a lâché pour des raisons très claires : «L'armement a péri par fatigue, vibrations, battement, défauts de serrage, usure, etc. Tous dommages relevant de la qualité de la maintenance.»
La SNCF savait. Les ingénieurs notent que «les examens métallurgiques qui ont été effectués permettent d'établir que nous ne sommes pas en présence d'un acte de malveillance, et que le processus ayant abouti à la désagrégation complète de l'assemblage s'est bien au contraire étalé sur plusieurs mois et a concerné l'ensemble de l'appareil de voie incriminé, sur lequel ont été relevées plus de 200 anomalies de divers degrés de criticités. La plupart de ces anomalies étaient connues de la SNCF ou de ses agents sans pour autant qu'ils soient remédiés de façon adéquate».
Chronique d'une catastrophe annoncée. Cette éclisse là a lâché, mais d'autres auraient très bien pu céder. D'«autres assemblages éclissés, situés sur le même itinéraire que celui qui a lâché avaient entamé, trait pour trait, le même type de processus de dégradation que leur homologue dont la ruine a entraîné le déraillement du train», notent les experts. «L'historique de la maintenance démontre que dès 2008, les TJD (NDLR : traversées jonction double) de Brétigny-sur-Orge préoccupaient manifestement les ingénieurs de la SNCF», qui étaient au courant de «défauts récurrents d'alignement et de dressage».
VIDEO. Brétigny : les conclusions du rapport suscitent la colère des victimes
Maintenance inadaptée. Pour les deux ingénieurs, «la surveillance du comportement de l'armement a été défaillante». La «situation particulière, bien connue de ses services, aurait logiquement dû conduire la SNCF à une surveillance accrue, et surtout adaptée». Au lieu de démonter les éclisses tous les trois ans, il aurait fallu le faire tous les ans pour les vérifier. Les tournées de vérifications sur le terrain auraient dû aboutir à une «remise en conformité immédiate de l'assemblage défectueux». Or, ce n'était pas le cas. Très concrètement, «nous avons nous-mêmes constaté l'absence d'usage de la clef dynamométrique, outil servant à respecter les valeurs de serrage efficace des boulons», s'étonnent les ingénieurs.
Un personnel pas assez chevronné. Visiblement, une remarque des experts laisse à penser que le personnel chargé de détecter les anomalies et de les réparer n'est pas toujours au niveau. «Il reste aussi important à dire que le personnel SNCF chargé de la mise en œuvre de la maintenance des voies et appareils devrait être choisi, tout d'abord selon des critères de solide formation à la construction mécanique et de surcroît avoir reçu une formation spécialisée approfondie», écrivent-ils.
Des recommandations qui tombent aux oubliettes. Michel Dubernard et Pierre Henquenet déplorent «une insuffisance de prise en compte et de traitement des anomalies rencontrées». Pire, lorsque des défauts sont relevés, rien ne se passe : «De nombreuses observations faites au cours des tournées de surveillance se sont trouvées reportées d'une opération à l'autre, pour finir parfois par disparaître sans pour autant qu'on ait eu la certitude qu'elles aient été traitées.»
Des manuels d'entretien gros comme des bottins. Le personnel sur le terrain n'est pas aidé. Il doit faire son métier en consultant «des référentiels de maintenance volumineux, surabondants, parfois inadaptés voire contradictoires donc contre-productifs». Résultat, ces guides «sont de toute évidence impossible à assimiler complètement, et de ce fait à mettre en œuvre sur le terrain de façon cohérente.»
Il faut rouler encore moins vite à Brétigny. Le train Corail ne roulait pas trop vite au vu de la limitation de vitesse sur ce tronçon. Le convoi avance à 137 km/h, bien en dessous des 150 km/h réglementaires sur cette voie. Mais pour les experts, c'est encore trop rapide pour ces voies en piteux état. Selon eux, «il serait souhaitable de limiter à 100 km/h la vitesse des trains à l'approche de la gare de Brétigny».
Attention danger à Noisy-le-Sec. Au gré de leurs visites dans les installations SNCF, les experts ont constaté que Brétigny n'est peut-être pas un cas isolé. Une inspection à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) leur aurait montré un réseau dans un état inquiétant.
DOCUMENT. Le rapport d'expertise sur l'accident de BrétignyPour voir et lire ce document et les vidéos suivantes en bas de page
cliquez iciSource